Dilema iraniano
EDITORIAL
Dilemme iranien
Et maintenant que faire ? Que faire si l’Iran persiste à poursuivre ses activités nucléaires hautement suspectes, loin du regard des inspecteurs de l’Agence internationale de l’énergie atomique.
Bien sûr, il y la méthode forte brandie par certains, aux Etats-Unis surtout : bombarder les sites nucléaires iraniens. Outre qu’il n’est pas sûr que les services de renseignement occidentaux connaissent absolument tous ces sites et que des bombes puissent détruire ceux qui sont enfouis, le précédent des frappes israéliennes contre le site irakien d’Osirak, en 1981, montre que ce genre d’attaques tend à renforcer la détermination d’un pays à se doter de l’arme nucléaire plus qu’à l’en dissuader (1). Sans même parler de possibles représailles contre les troupes occidentales en Irak, de tels bombardements offriraient à Mahmoud Ahmadinejad un argument en or pour convaincre l’opinion publique iranienne de la nécessité de doter aussi vite que possible le pays de l’arme nucléaire. Le Conseil de sécurité dispose en principe de moyens moins dangereux. Conformément au Traité de non-prolifération nucléaire (TNP) qu’il a signé, l’Iran a renoncé au nucléaire militaire. En revanche, il a le droit de développer des activités nucléaires civiles. Aujourd’hui, il ne dispose pas de toutes les technologies et du savoir-faire nécessaires pour y parvenir seul rapidement. Les grandes puissances peuvent donc conditionner la fourniture de ces technologies à l’obligation de soumettre tous les sites iraniens aux inspections décidées par l’AIEA. Cela suppose d’abord que la Russie, principal fournisseur de l’Iran en la matière, accepte de jouer le jeu. Quitte à perdre un juteux marché puisqu’elle vend, par ailleurs, des armes conventionnelles à Téhéran. Cela suppose ensuite qu’en cas de refus de l’Iran, aucun fournisseur ne remplace Moscou. L’expérience passée des trafics organisés par le Pakistan n’incite guère à l’optimisme...
Parallèlement à ces manœuvres diplomatiques, c’est sans doute à l’opinion publique iranienne que le reste du monde doit s’adresser, par-dessus la tête Mahmoud Ahmadinejad. La République islamique n’est certes pas une démocratie selon notre cœur. Mais ce n’est pas non plus l’autocratique Corée du Nord. A Téhéran, les luttes de faction sont en partie réglées par les urnes, comme l’a montré l’élection-surprise de Mahmoud Ahmadinejad contre Hachemi Rafsanjani, favori de l’establishment politique du régime. L’opinion publique iranienne veut-elle que son pays s’équipe de l’arme nucléaire ? Ce ne serait pas surprenant. Les cinq membres permanents du Conseil de sécurité en sont dotés. Dont les Etats-Unis présents en Irak et la Russie proche de l’Iran. Sans compter les trois voisins régionaux de Téhéran qui ont purement et simplement refusé de signer le TNP : l’Inde, Israël, le Pakistan. Est-il possible de convaincre l’opinion iranienne qu’elle peut se passer de la bombe nucléaire ? Rien ne le garantit. Ce qui paraît probable en revanche, c’est que des sanctions brutales et mal ciblées qui la frapperaient directement ne sont pas la meilleure façon d’y parvenir. En revanche, les Iraniens le savent : leur pays vit à l’heure de la mondialisation. C’est aujourd’hui l’un des principaux producteurs mondiaux de pétrole. Il entend développer son industrie gazière. Et au-delà, sortir de sa dépendance aux hydrocarbures. Pour ce faire, il aura un besoin vital de technologies et d’investissements étrangers. Si demain son arme nucléaire inquiétait le reste du monde et le mettait au ban des nations décidées à lutter contre la prolifération, il pourrait se voir interdire l’accès à ces technologies et à ces investissements. Les Iraniens ont-ils à ce point envie de suivre leur président sur le chemin de la bombe ? Et les puissances industrielles peuvent-elles rester assez unies pour leur mettre le marché en main ?
- Yann Mens
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